Retrouvailles
Elle se laissait deviner comme la partition d’une mélodieuse et sécurisante berceuse parfois ponctuée de quelques accélérations de rythme et notes en double bémol.
Il fallait tendre l’oreille, faire abstraction de toutes les vocables aux intonations parfois courroucées mais souvent joyeuses, du zéphyr modérément puissant et des envolées enlevées pour en percevoir pleinement le murmure empli de promesses.
Invisible à l’œil, encore dissimulée, comme pour mieux se faire voir par la suite.
Évaluation rapide, mais primordiale, de la distance séparant de la tant espérée destination et évaluation encore plus rapide des obstacles à franchir pour y parvenir ; compte tenu d’un nombre impressionnants de paramètres pour un si petit intervalle terrestre. Mettre au point une stratégie pour arpenter quelques 400 mètres semble bien dérisoire… Oui, mais cheminer sur ces 400 mètres faits de galets que dardent, en traître, les fourbes rayons du soleil constitue un véritable parcours du combattant pour qui a l’épiderme aussi sensible et qui se trouve affecté par la moindre variation de chaleur qui l’inonde, fulgurante et pernicieuse.
Le stratagème sus-cité était des plus simples, tenait en deux mots – STRATEGIE D’EVITEMENT – et se résumait en à peine plus : suivre un itinéraire le plus rectiligne possible et, idéalement, ne souffrir aucune station immobile sur le brûlant parterre pierreux afin de réduire à sa plus petite expression le temps mis pour franchir la ligne de l’invisible arrivée. La zone est quadrillée, en quelques instants cruciaux et décisifs, afin que l’opération soit une réussite… Au bout du compte, il faut bien se lancer, enfin, sans plus tarder car l’esquisse du plaisir final est suffisamment puissante.
Bien entendu, entre ce qui a été minutieusement planifié et ce qui est effectivement il y a souvent un gap et même en essayant d’envisager tous les scénarii possibles, le pouvoir d’anticipation se heurte violemment à la réalité. Dans le cas présent, si « évitement » prend tout son sens la trajectoire, elle, est sinueuse afin de ne pas gravir inutilement des monticules comme posés là ou se faire prendre au piège de dépressions artificielles mais artisanales… Chahutée aussi par la course aléatoire de petits chérubins et les points de chute d’objets (souvent sphériques, précision fort utile) tout aussi flous qu’inopinés.
Puis, comme par magie (ou presque, n’exagérons rien), le calme après la tempête, l’apaisement instantané des maux du corps (mentions spéciales pour les pieds incendiés) et la joie chevillée au cœur.
La vivifiante fraîcheur de l’onde (Saint Graal de l’expédition) vient se confronter à l’ardente hyperthermie de la peau et l’emporte avec elle aussitôt qu’elle se retire. Cette danse au tempo bien rythmé, valse oscillante, parait sempiternelle et ne jamais subir aucune anicroche ; elle contraste par sa langueur et sa douceur avec la dureté rocailleuse de l’assise instable.
> Bien que rien ne semble pouvoir troubler le suave mouvement de l’eau, cette dernière reste facétieuse, imprévisible par nature. Ainsi, même si les sens discernent quelques variations qui semblent être le signe avant-coureur d’un sursaut plus brusque, c’est presque toujours par surprise que l’océan s’agite, sans se révolter, et pare le corps de ses gouttelettes transparentes. Cette explosion soudaine laisse rarement indifférent : un recul, une crispation, un frisson, un sourire à peine ébauché, une onomatopée bien sentie… chacun sa manière de répondre à cette provocation espiègle.
Ce vif rafraichissement (bien qu’involontaire) engendre la tentation de tremper les phalanges dans la vaste étendue afin d’en recueillir, dans le creux d’une paume, une minuscule parcelle mousseuse et mystérieuse. Mais, avec un pincement au cœur, celui de briser l’harmonie ambiante avec beaucoup moins d’élégance que la nature elle-même ; il devient alors presque vital de redonner à sa matrice ce petit bout d’elle-même qui ne saurait être retenu captif plus longtemps.
Alors que l’être se redresse, le regard se porte plus loin dans l’infini et ouvre en grand pour se prendre (au filet des) aux reflets coruscants qui habillent les teintes, camaïeu de bleu et de vert, juxtaposées dessinant l’immensité marine. Il se perd dans la ligne d’horizon, fondu du ciel et de la mer, qui semble résumer à elle seule tous les mystères du monde. Cet immatériel point de repère exerce une inexplicable attraction et se contemple tout en restant incompris.
Si le fil des pensées se trouve tout emmêlé ou discontinu lors de cette agréable contemplation, l’attention se reporte sur le proche et le moment présent. Il est l’heure du choix : se laisser happer par l’appel irrésistible des flots, leur offrir davantage de soi ou tirer, momentanément, sa révérence ?
Quoiqu’il en soit, toujours, les retrouvailles avec l’eau sauvage (aussi multiples soient elles) ont été aussi intimes, personnelles et uniques.